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16 août 2010 1 16 /08 /août /2010 18:16

K22  2010

 

UN LONG DIMANCHE DE DEFI TRAIL...

 

Il est 9h en ce premier dimanche d'Août; c'est le jour, c'est l'heure. Il y a un an, ici même, à Cesana Torinese, se donnait le départ de la K22 pour une foule de coureurs venus de tous les horizons, mais surtout d'Italie, car pour les Transalpins, l'ascension du Chaberton est aussi mythique que pour un cycliste inscrire son nom dans la montée du Ventoux ! Je scrute le ciel, mais contrairement à l'an dernier, aucun nuage ne menace de ses foudres les bipèdes en short et tee-shirt qui vont se lancer à l'assaut des pentes du Chaberton à plus de 3000 m d'altitude. Aucune tempête de neige ne semble prévue pour s'abattre comme en 2009 sur la tête des coureurs, obligeant les organisateurs à renoncer au parcours initial passant par le sommet. Quelle est donc cette compétition au nom étrange de K22 ?

 

 

P1260329

 En fait, les organisateurs, Gianni Mallen et Nicole Toscan ont crée deux courses de montagne sous l'appellation Chaberton Marathon, l'une nommée K22, 22 km et 1950m+ et 1511m-, et une baptisée : Trail des Forts, 44 km, 3256m+ et 2776m-.

Quant aux parcours, ils ont été tracés à travers des montagnes où les sentiers techniques côtoient d'anciennes routes militaires. Comme le dit le flyer : les coureurs vont fouler un sol riche d'histoire puisque les 600 courageux engagés doivent pointer à 3131m, sur l'esplanade du sommet du Chaberton…Ce sera une première pour les coureurs de la K22, car l'an dernier les intempéries n'avaient pas permis ce passage au-delà des 3000 m.

 

chab elicot

 

Petit flash back sur la 1ère édition qui s'était déroulée le 3 Août 2008 dans des conditions météorologiques idéales.

Le parcours de la K22 emmenait les coureurs motivés de Montgenèvre à Clavière après la visite des Forts du Janus (2565m), des Gondrans (2340m), la remontée vers le Chenaillet (2650m), la descente par le Collet Vert, le refuge et le lac Gimont, et l'arrivée à Clavière, en territoire italien. Chantal, Luc, Nathalie et moi, en pionniers avions participé à cette magnifique épopée. La course, néanmoins, m'avait parue difficile : 22 km (c'était mon record de distance, bien sûr !), mais surtout ce fut la dénivellation qui me resta dans les jambes : 1200m+… L'an dernier, j'aurais donné cher pour que le temps fut le même que pour la première édition...Mais, la météo a ses caprice et nous en avons fait les frais : la pluie, le vent et la neige, se sont ligués contre nous pour nous barrer la route du sommet. Si ce fut une frustration pour beaucoup, en ce qui me concerne, ce fut un soulagement. En effet, la perspective d'une montée de 1950m+ vers le Fort des Nuages, le bien-nommé en 2009, ne me réjouissait guère. Je ne me sentais pas à la hauteur !

 

K22  2009

Voici le récit de ma course de l'an dernier, que je n'avais pas eu l'envie d'écrire à l'époque, avant d'avoir pu l'exorciser en y revenant en 2010...

Cesana, dans le sas de départ, je n'en mène pas large mais essaye de faire "bonne figure" devant mon père, fier mais inquiet de voir partir sa fille en haut du Chaberton en short et tee-shirt dans les conditions annoncées. Peu de coureurs ont pris réellement la dimension des difficultés qui nous attendent…Surtout moi qui ai une bronchite depuis 3 semaines ! Ici, à 8 heures, à Cesana, il fait beau, le ciel est clair et seuls les sommets semblent un peu accrochés. Les coureurs du grand parcours s'élancent, confiants.

A 9h, c'est alors que nous sommes déjà dans le sas de départ que nous apprenons que la fenêtre météo s'est refermée, que les conditions se sont si dégradées que le passage au sommet est annulé… Alea jacta est, le départ est donné, sans que nous ayons eu le loisir (façon de parler !) de retourner à la voiture pour se munir d'un coupe-vent qui aurait été plus qu'utile. Les 5 premiers kilo nous conduisent à Fenils, toujours sous l'orage, qui a éclaté sa colère dès le 2e kilomètre ! Le ciel se déverse sur nous, zébrant d'éclairs bleus sa toile déchirée. Alors que je suis en 5e position, je double, à mon grand étonnement, Isabelle Guillot; celle-ci me dit : "J'abandonne, de toute façon la course sera arrêtée à Fenils". Elle met le clignotant et, me retournant, je la vois faire demi-tour. Je poursuis ma remontée vers le dernier village avant le col, pensant, également qu'il serait trop risqué pour les organisateurs de prendre la responsabilité de laisser les coureurs continuer au-delà. J'ai à l'esprit, et je ne suis pas la seule, le drame qui s'est joué la semaine précédente sur le Trail du Mercantour où 3 coureurs sont morts de froid à la suite d'une chute collective. Le mauvais temps en montagne peut être fatal, mais aucune course, fusse-t-elle la montée au légendaire Chaberton, ne vaut le prix de la vie d'un homme. C'est donc assez surprise, que, malgré les conditions atmosphériques, les bénévoles présents aux Fenils, nous laissent continuer notre ascension. Nous croisons de nombreux coureurs engagés sur le grand parcours qui redescendent : Karine Herry, Marco Olmo (vainqueur de la 1ère édition), Serge Moro. Ce dernier me dira en arrivant à ma hauteur : "Là-haut, c'est l'enfer !" Par dizaines, frigorifiés, les traits crispés, ils dévalent ces pentes que nous sommes en train de remonter péniblement, sous la pluie qui nous fouette sans répit. Ce qui est curieux, c'est que malgré ces avertissements, aucun des coureurs avec lesquels je tente l'aventure ne renonce. Personne ne parle, ne se retourne, ne s'arrête ? Tout le monde est sourd ? Oui, personne n'a envie d'entendre qu'il doit renoncer et retourner à Cesana, sans avoir fini la course. Je ne suis pas du genre à abandonner. Je passerai, c'est sûr ! Ce n'est pas quelques gouttes ou quelques flocons qui m'empêcheront de rallier Clavière… Pourtant, il fait de plus en plus froid. Je regarde mes mains, elles sont blanches et je n'arrive pas à les fermer. Le froid me saisit alors des pieds à la tête. Je suis trempée, grelottante, je claque des dents nerveusement, et pourtant, je monte. Comme l'expliquer aujourd'hui avec le recul ? Je cours à côté d'un italien qui, voyant mon état, n'hésite pas à se dévêtir de son gilet sans manche (trempé, évidemment…) pour m'en envelopper les mains. Je cours désormais les mains liées devant moi, comme un prisonnier évadé qui s'enfuit. Malgré tout, cela ne me réchauffe en rien, et je ne cesse de marmonner entre mes dents, comme un mantras : j'ai froid, j'ai froid, j'ai froid… Je sais qu'au 10e kilomètre, il y a un ravitaillement, et espère que les bénévoles pourront me fournir un sac poubelle pour que je puisse m'en revêtir. Je regarde ma montre GPS : nous y sommes bientôt, il faut tenir. Après, ça ira mieux. Et toujours ces coureurs qui redescendent… Parvenue frigorifiée au poste de ravitaillement, je demande à un bénévole un sac poubelle; il n'en a pas d'autres que ceux qui sont déjà remplis de gobelets et de bouteilles vides ! J'insiste tant que devant ma détresse, il se dit qu'il ne peut pas me laisser repartir comme cela, ce serait de la nonassistance à personne en danger ! Il vide par terre un des sacs, fait un trou pour le passage de la tête et me l'enfile. Le plastique me descend jusqu'aux genoux. Tant mieux, pensai-je alors, avant de réaliser que j'allais devoir me passer de mes mains pour m'équilibrer dans des pentes boueuses, glissantes à souhait et à 30% ...Remerciant mon sauveteur, je repars. Mais, très vite, je prends la mesure de l'enfer qui m'attend. Car, désormais, plus de chemin...juste un vague sentier raviné, trempé. Le coureur qui me suit doit me pousser dans le dos (ou plus bas !) pour que je ne retombe pas en arrière. Vous avez déjà vu un pingouin qui escalade une montagne ? Vous avez raté quelque chose. Je continue pourtant. Oui, je regarde mon altimètre : je ne suis qu'à 200m (de dénivelé) du col, et j'ai déjà couru 12 km, et du col à l'arrivée, il n'y a guère plus que 6 km. Le calcul est vite fait : j'ai tout intérêt à tenir le coup et à franchir ce maudit col, coûte que coûte. Autour de moi, c'est la bérézina, ça monte, ça descend, on ne comprend plus rien, ça part dans tous les sens !Je tremble de froid, mais suis obligée de relever mon sac poubelle jusqu'à pouvoir sortir mes bras : la pente raide et glissante ne me permet pas de continuer à avancer comme ça. Il arriva pourtant, ce moment fatal que j'ai tant redouté. Je l'ai repoussé de toutes mes forces, mais ça n'était pas encore assez. Mon mental était fort, mais il ne fait pas tout. Il m'a permis d'arriver jusque-là, mais ça n'est pas lui, qui seul, peut me permettre de basculer vers la France par ce col. Quand le corps ne suit plus, le cerveau peut trépigner dans la boîte crânienne, c'est comme une voiture privée d'essence, elle n'avance plus. Fusse une Ferrari…

Et je reste là, transie, au milieu de la pente, sans pouvoir monter, sans pouvoir descendre. Un sentiment de vide immense s'empare de moi, et je comprends soudain les alpinistes qui se sont laissés glisser vers la mort en se couchant dans la neige malgré la tempête. Un soulagement, une délivrance. Moi aussi, je voudrais me coucher là et ne plus bouger, fermer les yeux et m'endormir. Le brouillard est si dense qu'on ne voit pas à quelques mètres. On entend des cris, des appels étouffés. Il neige à gros flocons, le vent violent me gifle, menaçant de me jeter à terre; le névé, devant moi, je ne peux pas le traverser. C'est fini, je rends les armes, les larmes me montent aux yeux. Je dois renoncer et dans "renoncer", il y a "non". L'abandon, l'abdication, la retraite...Mais, maintenant, il y a plus grave : comment vaisje redescendre? Jamais je ne vais être capable de faire ces 12 km pour rentrer à Cesana. Quand je pense à Chantal encore plus haut que moi dans la montagne... Pourvu qu'elle ait pu arriver au col pour se mettre à l'abri auprès des bénévoles. Et mon père ? S'il ne me voit pas arriver à Clavière, il va être fou d'inquiétude. Je sais tout ça. Mais je n'ai pas le choix : mon corps me refuse tout service. Je reste là, au milieu du passage, je ne peux me déplacer d'un centimètre. Le coureur qui me suit me dit de redescendre, que je vais mourir de froid. Lui, couvert d'un coupe-vent, est déjà bien mal en point. Il m'aide à me mettre de côté et tandis qu'il reprend sa marche en avant (mais pour combien de temps ?), il me crie encore de faire demi-tour. Je regarde passer des randonneurs et envie leur pantalon, leur anorak, leur bonnet et leurs gants...Je donnerais cher pour être habillée pareillement. Ils passent devant moi avec un pauvre sourire qui ne peut rien pour moi. Je suis sur le point de m'écrouler à terre lorsque ma bonne étoile (qui n'était pourtant pas bleue !) me fit signe sous la forme d'une coureuse qui a eu, elle, la sagesse de redescendre avant que ses forces ne la lâchent. Elle redescendait lorsqu'elle m'a aperçue, du coup, venant vers moi, elle m'a littéralement poussée dans la pente. "Faut pas rester là, tu vas crever de froid, viens, on redescend ensemble !" Poussée vers le vide, l'instinct de survie a eu raison de mon inertie.

Nous voici, toutes les deux, l'une se tenant à l'autre, dévalant ces pentes que nous avons eu tant de mal à monter. On court, on marche, on glisse, on tombe, on se relève, on rit, on pleure, on s'entraide. On se sauve. Nous repassons devant le poste de ravitaillement du 10e kilomètre et apprenons que des navettes vont être mises à disposition des coureurs pour évacuer la montagne, les organisateurs ayant pris la sage, et seule décision qui s'imposait : fermer l'accès au col et leur faire faire demi-tour, les conditions à 2800m étant infernale, dantesque, comme on dit en Italie ! Là, les choses vont devenir plus faciles, car nous sommes maintenant sur une large piste et nous pouvons courir pour tenter de nous réchauffer. Enfin, un 4X4 nous dépasse et s'arrête pour nous embarquer. Le véhicule est déjà plein, c'est une sorte de pickup. Aucune importance, je suis hissée par les épaules et "balancée" sur les coureurs entassés sous des couvertures trempées. J'écrase tout le monde, personne ne se plaint. Je reçois à mon tour sur les bras, ma compagne d'infortune. J'essaye au maximum de m'alléger pour la couche de coureurs se trouvant au-dessous ! Le 4 X 4 se remet en route pour s'arrêter bientôt pour charger un coureur très mal en point, au bord du malaise. Je ne sais combien nous étions entre ce qui fut pour nous l'Arche de Noé et le Radeau de la Méduse. Mais, ni les chaos de la route défoncée, ni l'inconfort du transport, ni les jambes et les bras emmêlés des coureurs trempés n'ont gêné personne. Nous avions tous conscience que ce 4X4 allait nous arracher à la montagne en colère, et nous sauver. Oui, nous étions tous bouleversés et reconnaissants. Le 4 X 4 s'est arrêté devant la première maison rencontrée, et nous a laissés aux bons soins du berger et de sa femme (ceux-là même que je suis allée remercier cette année en faisant la randonnée de reconnaissance, c'est le cas de le dire). Lorsque nous pénétrons dans la pièce unique, nous découvrons des coureurs entassés dans tous les coins. La vapeur d'eau sature l'air d'humidité et le poêle Gaudin ouvert ronfle dans un coin pris d'assaut par les plus gelés qui restent tremblants, les mains dangereusement proches des flammes. Pendant ce temps, nos hôtes ne restent pas les bras croisés : ils nous apportent des serviettes, nous préparent du vin chaud, du café, sont aux petits soins pour nous. Certains ont un téléphone portable et tentent de joindre leurs proches pour les rassurer. Je pense à mon père qui doit s'inquiéter...Mais je ne connais pas son numéro. C'est mon téléphone qui a de la mémoire, plus que moi ! Attirée comme un aimant vers le poêle, c'est là que je resterai un temps que je ne saurais estimer. J'ai enlevé mon tee-shirt trempé et le tiens au-dessus du feu pour le faire sécher. Heureusement, la matière synthétique dont il est constitué lui permet d'évacuer l'eau très vite. De temps en temps, la porte s'ouvre, le 4x4 continuant à déverser des coureurs sérieusement en hypothermie. J'apprendrai à mon retour qu'une coureuse a été évacuée dans le coma en hélicoptère sur l'hôpital de Turin où elle restera 3 semaines...Elle a véritablement frôlé la mort, la température de son corps étant descendu à 26°... Ceux qui se sont suffisamment réchauffés quittent la maison, laissant la place aux nouveaux arrivants. C'est un va et vient permanent. Je commence à aller mieux, mon tee-shirt sec est sur mes épaules. Mes mains ont retrouvé leur couleur. Je suis prête à repartir à pied jusqu'aux Fenils en convoi avec d'autres coureurs, une navette nous y attend pour nous ramener à Cesana ou à Clavière. Nous guettons longuement l'accalmie par la fenêtre. Enfin, le ciel s'ouvre, la porte vers le retour également ! Je remercie mes hôtes et m'élance en courant sur les 3 kilomètres qui me séparent de Fenils où je ferai finalement du stop pour revenir récupérer la Titi toujours immobile sur le parking de Cesana depuis 7 heures ce matin. Il est près de 14h lorsque je retrouverai Chantal et mon père qui me serre dans ses bras à m'écraser, tant son soulagement de me voir fut violent...Une aventure assez traumatisante que je ne suis pas prête d'oublier. D'ailleurs, cet été- là, j'ai souffert du froid terriblement. Une Chabertonite aigüe, je crois ! Si c'était à refaire ? Honnêtement, je ne le referais pas. Si les conditions météo avaient été celles de 2009, je n'aurais pas pris le départ, c'est sûr. Quand on a connu l'enfer, il en reste toujours quelque chose. On apprend ses limites, on essaie de les repousser. Mais on sait aussi que parfois, ce sont elles qui nous repoussent. Les années se suivent et ne se ressemblent pas. C'est un bien, parfois. Le soleil brille dans un ciel sans nuages...Les coureurs et les organisateurs ont le sourire...euh, moi, mon sourire ressemblerait plutôt à une grimace. Le dénivelé annoncé me semble énorme...Plus de 1900m ! Même en randonnée, je ne les fais pas, alors, en course...et à plus de 3000m ! Mais, j'ai choisi d'être là, j'ai une revanche à prendre...J'ai abandonné l'an dernier...Le Chaberton a repoussé mon assaut ainsi que celui de bon nombre de ses courtisans. Si tu ne vas pas au Chaberton, le Chaberton... n'ira pas à toi, faut pas rêver !

 

DEPART :

 

Bon, je suis là, juste derrière la ligne de départ, le doigt sur le bouton de ma montre GPS altimètre (ce qui me permettra de gérer mon effort de montée, en sachant toujours ce que j'ai déjà grimpé et ce qu'il me reste à faire, en dénivelé, et en kilomètres). 9h01 : Le départ est donné par les édiles présents, de la Place de la Mairie de Cesana.

 

5,4,3,2,1, PARTEZ !

Personne ne se le fait dire deux fois ! Un peloton coloré et joyeux traverse les rues principales du village, passe en trombe devant la Caserne des Carabiniers, puis commence à s'étirer lorsque la route cède la place à un chemin de terre qui nous emmène à travers champs. Il me semble que notre parcours suit un GR, car les traces au sol sont rouges et blanches. D'un saut nous franchissons le Rio Malnet et désormais le sentier va devenir vallonné en longeant le torrent Dora Riparia que l’on suivra jusqu’à la remontée vers le hameau des Fenils. Je trouve que la course est partie sacrément vite. Quelle rythme pour une épreuve (oui, le mot est bien choisi), aussi difficile et aussi longue. Ceux qui seront partis en surrégime risquent de le payer cash ! J'ai ma ceinture cardio autour du torse et je contrôle mes pulsations : horreur ! Enfer et damnation ! Je parle des autres, mais moi aussi je suis dans le rouge…mon écran affiche 171 puls !!! C'est quasiment ma fréquence cardiaque maximale. Si je continue comme ça, je n'irai pas loin. Je ralentis, je ne veux pas me griller. Je suis en 4e position, et un panneau près de la fontaine annonce : 5km. Jamais je n'aurais cru possible de monter aussi haut dans les tours.

 

FENILS :

Touristes, supporters, villageois, il y a en a du monde pour nous encourager! Belle ambiance..Ca me donne du courage pour affronter mes démons (des monts ?!), et du courage, il va en falloir, car c'est là que commence véritablement l’ascension du Chaberton. La route bitumée devient chemin militaire. Je peux encore courir. Il fait très chaud et je ne suis pas la seule à chercher l'ombre. Soudain, le tracé de la course propose un raccourci. Sur ce sentier muletier qui coupe les lacets, je ne peux que marcher, les mains sur les cuisses pour faire piston. Ca grimpe dur sous le soleil. Heureusement, j'ai une poche à eau dans mon sac à dos et je tête mon Antésite à intervalles réguliers. Je lève la tête : on arrive bientôt ? Euh, non ! Encore au moins 3 heures...au mieux ! Jamais je n'ai couru si longtemps...Vais-je tenir ? J'ai découpé la course en étape. D'abord les Fenils. Ca, c'est fait. La maison de mes sauveteurs du hameau de Pra Claud, j'y passe devant à l'instant en saluant Catarina qui m'encourage à grands cris ! Je regarde l'altimètre : + 350m. Cool, il ne me reste que ...1600m+! Au secours, non, c'est trop, je suis déjà entamée...Sans doute partie trop vite, j'aurais dû consulter mon cardio avant. C'est pas la peine de le porter pour ne pas le consulter ! Allez, une erreur de débutante. Avec cette dernière maison, je dis adieu à la civilisation. Nous ne verrons plus de maisons avant Clavière. Nous nous élevons à travers des prés tous plus pentus les uns que les autres. Ah, enfin, un bout de route militaire pour récupérer ! En fait, rien ne m'oblige à suivre le tracé par les raccourcis. Oui, j'ai le droit de suivre la route, si je le désire. Mais, le problème...c'est que je ne désire pas faire des kilomètres supplémentaires...Alors, je cours, comme tous ceux qui sont devant moi. Qu'en est-il derrière, je ne sais pas. Si je me retourne, je risque de tomber en arrière, tant le sentier est raide ! Nous passons à côté d'une aire de pique-nique. Ah, je m'arrêterais bien pour casser la croûte; ah, comme ce serait bon de s'asseoir, là, tranquillement à l'ombre pour manger une bonne pizza italienne en regardant les coureurs courir ! Mais je n'ai que quelques sucres roux bio, ça tenait moins de place dans ma poche qu'une "4 fromages" ou une "Margherita" ! Bon, pour le pique-nique, faudra patienter. Je ne suis pas sûre que les bénévoles du ravitaillement aient monté le four à pizza.

 

RAVITAILLEMENT, 10e km :

 En effet, lorsque j'arrive enfin aux tables après 10 km et 800m de gain d'altitude, je devrai me contenter d'eau… Je me présente à eux et leur rappelle que c'est à moi qu'ils avaient donné un sac poubelle pour me couvrir l'an dernier. J'ignore si c'était les mêmes bénévoles (je n'ai pas tout compris de leur réponse dans la langue de Dante, mon italien commence à être loin…), mais ils ont bien ri à ce souvenir. Moi aussi. Faut être polie… 800m+...La course se durcit de plus en plus. Je suis morte...et il reste 1100m+ pour arriver au sommet, sans parler de la descente. Tenir, tenir, tenir, tenir et courir. Euh, marcher plutôt, et le plus vite possible.

 

LE GRAND VALLON :

 

 Je regarde autour de moi, le décor est grandiose, lunaire...minéral; à la fois fascinant et inquiétant. J'imagine ce vallon, pendant la guerre, où des hommes en armes montaient en char, à moto, en blindés légers, pour se rendre au Fort ... Plus un arbre, plus d'ombre…Seules quelques touffes d'herbes entêtées s'accrochent aux pierriers que nous devons remonter, et qui glissent sous nos semelles. Il me faut résister à la pente, à l'attraction terrestre, à l'envie de me reposer...Me reposer ? C'est pas le moment...Une fille vient de me passer dans cette pente infernale et je ne peux rien faire pour l'accrocher. J'aurais dû prendre une corde ! Tant pis, mais je ne perds pas espoir de la rattraper dans la descente…Aussi loin que porte mon regard, je ne vois personne courir, c'est rassurant ! Je m'encourage dans ma tête : reste 3km et guère plus de 1000m de dénivelé...Joli pourcentage.

 

LE COL :

 

Chaberton, attention, me voilà ! Je profite de croiser la route militaire pour souffler sur le plat avant d'attaquer le « Pian dei morti », qui se trouve être la frontière entre la France et l'Italie. Le Col se dessine nettement dans le ciel bleu à 2674m. De là, il reste 450m+ pour accéder au 2ème et dernier poste de ravitaillement (et de contrôle de passage des dossards)… D'ici, le tracé vers le sommet a été fait au fil à plomb ! C'est simple, ne cherchez pas, c'est tout droit. Bien sûr, il est possible d’emprunter un large sentier, qui, en 4km de lacets, grimpe pour nous conduire au sommet. Bon, du col, vous croyez que la course est pliée ? Mais, mon choix est fait : dré dans l'pentu, le nez au plus près des petits cailloux diaboliques qui jouent à repousse-semelles avec les chaussures des K22istes ! Ca y est, je suis dans le dur. Est-ce que c'est parce qu'à cette altitude l'oxygène se raréfie ? J'hyper ventile… Cette pente n'en finit pas. Je ne cesse de doubler des coureurs plus épuisés que moi, ceux du Trail des Forts, ceux qui m'ont passée avant le col. Ah, on fait moins les malins, maintenant ! Pourtant, je ne suis pas rancunière et je n'en passerai aucun sans l'avoir encouragé. Euh, parce que c'est des GARCONS, bien sûr ! Je ne vais pas me mettre en encourager mes adversaires directes ? J'rigole ! Aucune fille de la K22 à l'horizon à rattraper...Dommage. Celles que je vois, sont celles du Grand Parcours qui marchent en soufflant à la montée, ou celles qui dévalent à la descente. Je me revois marchant tranquillement, il y a deux ans lorsqu'avec Luc, Chantal et Nathalie, nous étions montés ici. Jamais à cette époque-là, je n'aurais cru qu'un jour je serais là, un dossard accroché au tee-shirt. Quand je pense que certains croient que je suis là pour mon plaisir ! Un plaisir masochiste ? Une forme de rédemption dans cette souffrance ? Dans le dépassement de soi ? Dans la fierté de l'avoir fait ? De pouvoir dire : j'y étais ? Est-ce qu'on sait toujours pourquoi nous faisons les choses ? Certainement pas, mais ce qui est sûr, c'est que l'on apprend beaucoup sur soi... Je monte, je monte, si ça continue comme ça, je vais bientôt me retrouver au ciel, surtout qu'en montant, j'angoisse déjà en pensant à la descente terrible qui m'attend, non, au sommet, la course ne sera pas finie, loin de là. Pour rajouter à notre difficulté de montée, de nombreux coureurs nous frôlent, voire nous bousculent dans notre sente étroite au possible. Ces coureurs sont des "contrevenants" , eh, oui, ils viennent à contre-courant ! Ils redescendent par le tracé rouge, au lieu du jaune. Pourtant, au briefing Gianni Mallen a été très clair et l'avait bien précisé : il est impératif de suivre les marques jaunes pour revenir au col, ceci afin de ne pas gêner les coureurs qui montent.

 

LE SOMMET :

 

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Soudain, je crois être victime d'une illusion auditive : quelqu'un m'appelle du sommet : "Sylvie ! Sylvie !" Je réfléchis rapidement. Qui ? Qui peut être au sommet du Chaberton et me connaît ? Mon cousin Marcel Mathé ? J'en doute ! Je lève la tête et reconnais deux copains kikoureurs (du site Kikourou.net) : Jérôme Debize et Jean-Marie le Marseillais, pseudo : Akunamatata ! Je voudrais leur sourire et dire : "Coucou les gars, ça va ? Pas trop fatigués ? Moi, ça va bien ! Si je ne suis pas en tête de la course, c'est pas par choix personnel". Mais je ne peux pas cacher mon masque de souffrance :"j'suis morte" seront les seuls mots que je serai capable d'articuler. Je reverrai Akuna à Montgenèvre quelques heures plus tard; il me confiera son étonnement de me voir dévaler la pente à toute vitesse quelques secondes plus tard après mon aveu de décès; ai-je bu une potion magique au ravitaillement ?

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Ce qu'il n'a pas compris, c'est que ma vitesse de descente n'était qu'une tentative d'enrayer une chute vers le col !!! Il y a beaucoup de monde pour nous applaudir sur l'esplanade devant les tourelles ruinées. Je demande un sucre aux bénévoles, j'ai fini ma réserve dans les ultimes minutes de mon ascension. Malheureusement, il n'y en a pas. Il y avait des raisins secs...mais, il n'y en a plus ! Tant pis. On me propose un Coca : le dernier qui m'a vue en boire, il est pas jeune…"Il y a du sucre dedans, et de la caféine, ça va vous faire du bien". Soit, je bois d'abord 2 gobelets d'eau et avale le soda, et hop, dopée à la coke euh, au coca, je plonge dans les éboulis du tracé jaune. Personne ne me passera avant Clavière !!!

 

LA DESCENTE :

J'avale littéralement la pente, mes chaussures se chargent de petits cailloux qui s'invitent insidieusement. De nombreux coureurs devant moi font une pause au col pour chasser les intrus ! J'ai pas l'temps, je veux rattraper la 4e qui m'a doublée après le 1er ravitaillement. Mais, ne l'ai-je pas déjà passée ? Tant de parcours étaient possibles pour rejoindre le col...Je ne me retourne pas et fonce dans ce sentier que je connais bien et qui mène en 1 kilomètre à ce qui reste de l'abri des 7 fontaines à 2250 m (il a été soufflé par une avalanche l'hiver dernier) Les randonneurs qui montent m'encouragent en s'écartant prestement. Tant mieux, je ne pourrais pas freiner ! Il reste 4,5 km interminables, mais dans un cadre splendide avant de rejoindre l'arrivée. Parvenant dans le vallon des Baisses, je reconnais le lieu d'un pique-nique fort agréable, un beau jour d'été 2008. Je guette les promeneurs sur ce large chemin, tentant d'apercevoir Marcel ou Claude Mathé...Personne ! Je n'en peux plus, mes jambes avancent mécaniquement, les pieds me brûlent, les petits cailloux jouent à cache-cache sous mes orteils. Je n'ai plus rien à boire. Il est temps que j'arrive. Toujours pas de fille dans mon champ de vision. C'est long ! Je passe en trombe deux garçons au ralenti. 20e kilo, j'y suis ! Plus que 500m. Je me rappelle les indications de Chantal : quand tu arriveras à un muret, il reste moins de 400m. Mince, de muret, y a pas ! Je regarde partout : plus de traces ! Pas de commissaire de course, de bénévole, rien ! Personne devant moi..Ca y est, je me suis encore perdue ! C'est pas vrai, je suis maudite ! Un coureur me suit, lui aussi a dû rater le bon embranchement ! C'est dingue, je ne peux pas faire un trail sans jardiner…

 

L'ARRIVEE :

 

Enfin, je parviens à la grand-route au-delà du poste de douane. Je regarde à gauche et vois au loin (trop loin !) l'arche d'arrivée ! Ah, ça me casse bien le moral, mais, je n'ai pas le choix : clignotant et direction l'arrivée. Je descends la route, enjambe la rubalise au grand étonnement d'un policier faisant la circulation. Il reste cent mètres...Je franchis la ligne, HEUREUSE ! Soulagée.

Oui, je l'ai fait, j'ai conjuré ma peur de ne pas être à la hauteur de cette compétition, j'ai chassé mes vieux démons de l'an dernier. Je termine 5e et 1ère V1; la 4e est à 1 minute, je n'ai pas discuté avec elle après la course car elle ne pouvait pas rester (elle n'était pas présente pour la remise des prix), et je ne saurai jamais si je l'ai doublée dans la descente vers le col ou si elle a toujours été devant moi. Dommage que j'aie effectué 21,150 km au lieu des 20,5 km...J'aurais peut-être pu la rattraper. Tant pis, je suis vraiment satisfaite...de ma descente surtout : d'après le pointage effectué au sommet, j'ai réussi le 3e meilleur temps entre le Chaberton et Clavière (et ce, malgré mon erreur d'orientation…). Oui, je suis fière d'avoir participé à cette magnifique aventure sportive, culturelle, et surtout humaine. J'ai beaucoup apprécié l'ambiance entre les coureurs, la gentillesse et la disponibilité des bénévoles (euh, sauf celui qui aurait dû se trouver dans le dernier kilo !), le paysage féérique de la montée dans ce vallon lunaire, le panorama exceptionnel à 360°… Un grand merci aux organisateurs de ce Marathon Chaberton, qui ont oeuvré avec talent et opiniâtreté pour permettre à des athlètes de 10 nationalités différentes de courir ensemble par un beau jour d'été, à saute-frontières entre deux pays amis, aujourd'hui et pour toujours, je l'espère, la France et l'Italie. Bon, j'ai franchi la ligne d'arrivée...En 3h29 ! J'ai survécu...Je vais maintenant aller chercher mon sac, me changer et faire du stop pour me rendre à Cesana, récupérer la voiture. J'ai l'impression d'être partie...depuis des heures ! Euh? Mais, ça fait des heures ! Ce matin me semble si loin, comme une autre vie. Je me sens décalée.. Le stop marche très bien : à peine le temps de tendre le pouce qu'une voiture s'arrête ! Il faut dire que je suis une fille et que je porte le tee shirt de la course...Ca aide, si, si ! Les occupants du véhicule, des italiens, sont très sympathiques. Parmi eux, une femme a fait la course également. Elle me demandera mon temps et ne me demandera rien d'autre ! Lui est guide de haute montagne. Ah, la route est trop courte…Ils me déposent pile devant ma voiture. Je retourne à Clavière où un repas est offert aux participants de la K22.

 

PODIUM :

 

A 15h, la remise protocolaire des récompenses a lieu sur la place du village, et ce sont les maires des communes de Cesana Torinese, Montgenèvre, Clavière, et des Fenils ceints de leur écharpe tricolore, qui remettent les lots aux vainqueurs scratch et par catégorie, accompagnés des hymnes nationaux des récipiendaires. Ah, entendre la Marseillaise sur un podium, c'est quelque chose... Ma 5e place (et 1ère V1) me "vaudra" de monter sur le podium scratch.

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L'an prochain, une 4e édition ? Bien sûr !

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  • : Courir Plus Haut
  • : Le blog de Titifb, passionnée de montagne. 6e des championnats du monde Master de course en montagne 2006. Trails, 10 km, plans d'entraînement, conseils, récits de courses...Coach d'une équipe de coureurs Drômois.
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